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jane courval

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jane courval
19 novembre 2007

sentiments humains

Yvonne

« Il n’aura servi à rien et rien ne lui aura servi » : ces quelques mots résument à merveille le déroulement de ma triste vie et feraient une excellente épitaphe. A supposer que l’on m’enterre dans un cimetière et que je bénéficie d’une tombe digne de ce nom. Ce qui n’est pas gagné. Plutôt morose pour une entrée en matière, n’est-ce pas ? C’est que je n’ai rien de bien réjouissant à raconter. N’allez surtout pas imaginer que j’y mets de la mauvaise volonté. Au contraire. Certains jours j’essaie vraiment d’être positif mais rien n’y fait car rien ne se passe et les mois et les années défilent sans que je trouve un sens à mon absurde existence.

Je m’appelle Oliver et je ne suis pas heureux. Chaque journée qui commence est comme un nouveau supplice que l’on m’inflige. L’origine de mon mal-être ? L’ennui,  cet ennui qui me ronge jusqu’au plus profond de mes entrailles. On dit que l’oisiveté est mère de tous les vices. Et alors ?! Toute expérience vaut la peine d’être vécue. J’aimerais tellement pouvoir m’adonner  à ces perversions si exaltantes et si malsaines dont j’entends parler sans jamais les expérimenter. Tenez, prenez l’alcool par exemple, il paraît que ça enivre. L’ivresse, c’est mieux que l’ennui, non ? Je dois avouer qu’il m’arrive de me sentir un peu ivre cependant. Mais n’allez surtout pas penser que je sois ivre de bonheur ou ivre d’avoir trop bu. Non. Si je suis ivre, c’est parce que j’ai le sentiment de tourner en rond de façon quasiment incessante et que mon existence si fade et si vaine s’écoule sans que je puisse me réaliser ou être utile à quoi que ce soit. Les seuls moments, très éphémères, où je parviens à oublier ma pathétique condition sont ceux où je me retrouve en famille me nourrissant alors de la vie des autres. Je ne lis pas Voici, Dieu m’en préserve. Et puis de toute façon je ne vois pas qui, dans cette maison, aurait la gentillesse de me prêter ne serai-ce qu’un magazine tant je suis invisible et insignifiant à leurs yeux. Pourtant, je ne pense pas que les personnes que je côtoie soient fondamentalement plus attractives que je ne le suis. Je vis dans une famille banale : les parents ont la quarantaine, les deux enfants, un garçon et une fille sont à l’âge ingrat de l’adolescence. C’est une famille aux revenus confortables, avec ses joies et ses peines. Je ne les trouve pas vraiment antipathiques mais je ne les trouve pas sympathiques non plus car ils ne me parlent pas.

Pourquoi ne me parlent ils pas ? Peut-être suis-je laid ou inintéressant au point de ne mériter aucune attention. Mais je devrais cesser de me poser tant de questions puisque personne ne daigne me répondre. J’ai parfois l’impression d’être le canard boiteux de la famille. Pourtant je ne suis ni embêtant, ni très exigeant. J’aimerais juste avoir quelqu’un à qui me confier, quelqu’un avec qui échanger des idées. A quoi bon être doué de pensée s’il est impossible de la partager ? Pourquoi Dieu ne m’a-t-il pas fait plante verte si telle est ma vocation ? Mais je suppose que Dieu n’a rien à voir avec tout ça. La télévision me permet aussi d’échapper à mon ennui de temps en temps mais on ne peut pas dire que les programmes soient passionnants. Entre les informations où on vous abreuve des plus sombres nouvelles et les reality shows où se déploie sans pudeur toute la misère intellectuelle et spirituelle de notre société, ce n’est pas tous les jours la fête. Oh bien sûr et heureusement, il y a tout de même des émissions que j’aime bien. Par exemple, j’apprécie beaucoup les séries policières américaines qui sont diffusées certains soirs, probablement parce que j’aime bien le suspens. Mais ce que je préfère, ce sont les reportages animaliers. Il y en a des pas mal sur Arte. J’ai une prédilection pour ceux qui portent sur les milieux aquatiques comme les rivières, les lacs, les océans. Je ne sais pas pourquoi mais cet univers me fascine. Malheureusement, ce n’est jamais moi qui choisis le programme. Entre Alicia qui voue un culte aux émissions sur la chirurgie esthétique parce qu’elle va avoir quarante ans et qu’elle ne sait pas par quel moyen y échapper, Pascal qui adore le football, Emilie qui se trémousse devant

la Star

Académie

et Nicolas qui ne jure que par les dessins animés japonais, on ne peut pas dire que je sois gâté. Si j’étais le chef de famille, je vous garantis que les choses ne se passeraient pas comme ça. Je livrerais alors une lutte sans merci à cet ennemi mortel qu’est l’ennui. Chaque jour serait vécu comme une nouvelle aventure. Le moindre petit bonheur serait célébré et les malheurs, petits et grands, seraient là pour nous rendre plus forts et nous rappeler que sommes toutes, la vie continue. Mais je nage en plein délire, et les fantasmes, c’est bien connu, ne sont pas faits pour être réalisés. Surtout les miens. Tout simplement parce que personne ne me prend au sérieux. Pour eux, je ne suis probablement qu’une bouche supplémentaire à nourrir. Je ne suis peut-être née que pour m’ennuyer et j’ai des frissons à la survenue de telles pensées mais j’avoue que certains jours je préfèrerais être mort tellement je m’ennuie. Je ne me souviens pas de ma petite enfance mais je pense que j’ai été adopté, et que c’est peut-être pour ça que l’on m’accorde moins d’attention qu’aux autres. Je ne vais pas à l’école, je ne travaille pas et je ne voyage pas non plus. Je végète. Les pires moments sont ceux où la famille part en vacances. Car alors je reste ici et je n’ai même plus la médiocre distraction de les observer comme un voyeur. La dernière fois qu’ils sont partis, c’était en Corse. Leur absence n’a duré qu’une semaine mais ça m’a paru une éternité. Vous savez ce que c’est

- moi je ne peux que le supposer - quand on s’amuse, le temps passe vite mais quand on s’ennuie, les journées n’en finissent pas. Ma seule satisfaction chaque soir, c’était de voir le soleil se coucher car je me disais alors que j’allais pouvoir dormir et qu’en dormant je ne m’ennuierais plus. Le problème, c’est qu’à force de ne rien faire je ne suis pas fatigué et que je cède difficilement à l’endormissement, ressassant alors les tourments de ma vie sans intérêt avant de me laisser enfin gagner par le sommeil. Mon univers onirique est bien plus passionnant que ma vie réelle évidemment. C’est finalement mon seul véritable refuge même si je ne parviens pas encore à me souvenir de tous mes rêves. Si j’avais de l’argent et que je ne sache en faire quelque chose d’utile, à l’instar de ces créatures un peu pommées de la jet set, je crois que je m’achèterais de la drogue. Oui, je sais, il paraît que c’est dangereux pour la santé et que ça réduit l’espérance de vie. Mais quelle importance cela a-t-il donc quand on a une existence médiocre et sans attrait et que vos plus fidèles compagnons sont la solitude et l’ennui ? Oh et puis, à quoi bon penser à tout cela, je me fais du mal car je n’ai pas d’argent et je ne me drogue pas non plus. En revanche, j’ai tendance à compenser par la nourriture. Je suis vorace. C’est ce qu’ils disent tous de moi. Ce n’est pas la saveur des mets que l’on me sert qui risque de me redonner goût à la vie mais j’éprouve le besoin de me remplir et à défaut de me remplir d’expériences riches et de joie, je me remplis de nourriture. Ma famille a au moins la décence de ne pas me mettre au régime, il ne manquerait plus que ça !

Pour en revenir à cette fameuse semaine de vacances en Corse, je me souviens que cette fois-ci, j’ai bien failli y passer. Je ne sais pas si c’est l’angoisse mais chaque jour j’avais l’impression de manquer un peu plus d’oxygène et j’ai fini par m’asphyxier presque complètement. Quand ils sont revenus, ils m’ont trouvé dans un drôle d’état. Alicia en était toute retournée. Ils ont réussi à me sauver la vie. Quelle connerie ! Pardonnez ma grossièreté mais me concernant, c’était vraiment la pire des choses à faire, un acte d’égoïsme monstrueux. Mais je suppose que je n’ai pas atterri dans la famille la plus perspicace qui soit et qu’ils ne se rendent pas compte que la meilleure des choses qui puisse m’arriver aujourd’hui est de mourir. Vous voyez, je crois en la réincarnation alors j’ai hâte d’être réincarné. Ma théorie – puisque mon seul loisir est de penser – est que j’expie actuellement les fautes de mes vies antérieures et que ma prochaine vie sera meilleure. C’est peut-être pitoyable mais il faut bien que je me raccroche à quelque chose. Pour être honnête, je pense que je suis en pleine dépression. Je suis habité par un sentiment de tristesse et de vacuité permanent et le fait de ne pouvoir parler de ce mal-être à personne est une torture. Parfois je hurle : « y a-t-il quelqu’un qui m’entende ! » Mais personne ne répond. Alors, il n’y a plus qu’à attendre. Attendre quoi, me direz-vous ? Rien probablement. Jusqu’à ce que mort s’en suive. Mais il est tard, Pascal ferme les volets, les enfants sont couchés, Alicia est déjà montée. Bientôt la pièce sera plongée dans le noir. Je vais pouvoir chercher le sommeil.

Pratiquement vingt-quatre heures se sont écoulées et pour une fois, il y a du nouveau. Ma dernière nuit est passée à une vitesse fulgurante, un peu comme une étoile filante. Aujourd’hui n’était pas censé être un bon jour. En effet je préfère les dimanches car tout le monde fait la grasse matinée, aussi ne suis-je pas réveillé de trop bonne heure et la journée me paraît-elle plus courte. Mais nous ne sommes que mardi. A 8h00 tapantes, ils avaient tous déjà quitté la maison, les uns allant à l’école, les autres allant travailler. Et dire qu’ils ont l’audace de se plaindre ! Si vous les entendiez ! Madame est tout le temps fatiguée car elle mène tout de front : les enfants, le ménage, le mari qui ne l’aide pas assez et sa vie professionnelle pleine de responsabilités et de stress. Mais qu’elle me la donne sa vie, je la prends ! Monsieur lui, est las de ses voyages d’affaires et a de plus en plus de mal à gérer les décalages horaires. Ce matin, Emilie a fait sa crise car elle déteste les cours de maths et qu’elle avait une interro. Trop dure pour elle la vie ! Et Nicolas, parlons en de Nicolas. Ce petit insolent ne tolère pas qu’on lui adresse la parole avant 10h00 du matin et se dit submergé par ses devoirs d’école, ce qui ne l’empêche pas de passer des heures devant sa playstation.

Mais je n’y tiens plus, il faut que je vous raconte l’événement remarquable et des plus heureux qui s’est produit aujourd’hui. En milieu de matinée, une inconnue a débarqué. Il s’agissait de la femme de ménage qu’ils viennent d’embaucher. Cela faisait des semaines que j’entendais parler de ce projet mais je n’osais y croire. J’espère qu’elle n’est pas trop honnête, qu’elle va fouiller un peu partout et faire des choses pas très catholiques. Ca tuera alors peut-être mon ennui et j’aurai enfin un objectif dans ma vie : attendre la venue bihebdomadaire de la femme de ménage. Quand j’y pense. A quoi en suis-je rendu ! Je l’ai beaucoup observée cependant. Elle a l’air très respectable et j’ai bien peur que rien d’excitant ne se passe. Elle est différente des membres de la famille. Elle a l’air plus humble, plus humain et, n’ayons pas peur des mots, plus intelligent. Et moi qui ai toujours pensé que l’intelligence était proportionnelle à la condition sociale ! Au moins aujourd’hui, j’aurais appris quelque chose, c’est que le manque d’expérience et le confinement conduisent à avoir des préjugés idiots, si tant est qu’un préjugé puisse être autre chose qu’idiot. Elle m’a même adressé quelques paroles aimables et a dit qu’elle me trouvait mignon avec mon petit ventre tout rond. Cela faisait une éternité que personne ne m’avait adressé la parole. Pour la première fois de ma vie, j’ai peut-être une amie.

Mercredi 05 septembre 2007. Je ne sais pas si je dois rire ou pleurer. Aujourd’hui, Yvonne, que j’appelle maintenant par son petit nom, a été au-delà de mes espérances et sans le vouloir a levé le voile sur l’origine de mon ennui. Comment ai-je pu vivre tant de temps dans l’illusion d’être comme eux ? Cela fait maintenant un mois qu’elle travaille pour la famille. Ils en sont satisfaits. C’est une bénédiction pour moi étant donné que c’est la seule personne qui s’intéresse à moi. Elle me donne même des petits trucs sympas à grignoter. Pourvu que personne ne remarque ma prise de poids. Mais venons en au fait extraordinaire et dévastateur qui a marqué cette journée. Pour tenter de remédier à ma solitude, Yvonne a décidé de me déplacer et de me mettre face au miroir pour que j’aie une « compagnie virtuelle » a-t-elle dit. Je sais parfaitement ce qu’est un miroir car j’ai beau m’ennuyer, je ne suis pas stupide et je pense d’ailleurs que c’est bien là le problème, sans vouloir me vanter. Il faut dire qu’Emilie passe des heures devant ce miroir à admirer son reflet et parfois à le détester. C’est un objet incontournable dans cette pièce dont je ne pouvais pas ignorer l’usage. Aussi, quand Yvonne m’a mis face au miroir, m’attendais-je à découvrir une silhouette et un visage plutôt laids, au mieux terriblement banals. Qu’elle n’a pas été ma stupeur de découvrir… Un poisson rouge ! Un petit poisson comme ceux que j’ai pu voir dans les reportages sur Arte. J’ai compris avec effroi ma fascination pour les rivières et les océans. Ces éléments sont une invitation désespérée à la liberté, au retour à la condition qui est normalement la mienne. Ma vie était déjà un enfer. Maintenant elle est pire encore car je sais que je suis privé à tout jamais de ma liberté et de la compagnie de mes congénères ; que ces êtres idiots et égoïstes que j’ai appelés ma famille par ignorance sont mes geôliers et que je suis condamné à attendre dans cet horrible bocal la fin de mon tourment. Cette fin sera plus rapide si je ne mange plus du tout, je dois y songer. J’aurais préféré être un imbécile. Peut-être alors, aurais-je été heureux.

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15 novembre 2007

envolée littéraire

rosery

Sommaire

Chronique d’une rencontre annoncée …………………………………… p 4

Gwladys

Rame, rame, rameurs, ramez ...

Un samedi soir chez Tom

Portrait d’un héros des temps modernes

Le crumble aux huîtres

Jarnac ou l’antre de tous les vices

L’organigramme du musée des horreurs   

Une journée de boulot

La mystérieuse affaire Eva Prune ………………………………………p 37

La touffe a disparu

Rêveries d’un promeneur solitaire

Crise aiguë de téléphonite

Ah, samedi !

Faire plus ample connaissance

L’équipée sauvage

Du nouveau dans l’affaire Eva Prune

Pendant ce temps là, au commissariat de Police

Home sweet home

Le mardi c’est permis

On a retrouvé Mme Prune !

Une italienne un peu encombrante

Au-delà des apparences

Le dénouement de l’affaire Eva Prune

Faites vos jeux Mesdames

Rosery ou le voyage initiatique au coeur des Cornouailles ………….. p 106

Sur le départ

Yes ! London !

Le Journal de bord

Waterloo Station

Sous

la Manche

Paris 19ème

Epilogue …………………………………………………………………. p163

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